Théodore Rousseau (1812 - 1867) était à la fois un paria et un héros. Il fut l'un des plus grands peintres naturalistes de la fin du XIXe siècle, au début de la révolution industrielle en France, extrêmement influent auprès des jeunes peintres impressionnistes, mais maintenu en dehors du monde de l'art « officiel » par ses pairs conservateurs et par les critiques. Jeune peintre, il tourne le dos au « cursus » traditionnel des peintres confirmés de cette génération, qu’il trouve trop conventionnels et ennuyeux, en décidant de ne pas se rendre en Italie pour parfaire son apprentissage, comme c’était l’habitude à l’époque. Rousseau aimait plutôt aller au Louvre pour observer et copier Claude Lorrain, qu'il admirait beaucoup, ainsi que les peintres naturalistes anglais.
Jusqu'à Rousseau, la nature n'était considérée que comme un décor de scènes religieuses ou de scènes de la vie quotidienne. Il était là pour mettre en valeur la présence humaine, juste un décor, vu d'en haut ou, souvent, des paysages imaginaires. Le jeune peintre, qui prétendait « entendre la voix des arbres », renverse complètement ce point de vue. La nature est le sujet même de ses peintures. Non seulement l’humain y est absent, mais Rousseau met le spectateur dans la position de quelqu’un entrant dans une forêt ou une clairière. Les humains sont entourés d'arbres, pas à l'extérieur, les arbres nous dominent par leur immense taille. Le spectateur est immergé dans la forêt, comme dans L'Allée de châtaigners . Le processus est ardu. Parfois, Rousseau pouvait travailler sur un tableau pendant plusieurs années.
La passion de Rousseau pour les forêts et la nature remonte à un voyage que le jeune Théodore a effectué avec son père pour rendre visite à un ami en Franche-Comté, dans le nord-est de la France. Les promenades dans les forêts de la région l'ont marqué très puissamment. Par la suite, au lieu de suivre des cours d'art traditionnels qui ne lui semblent pas inspirants, il part en balades dans la nature à travers la France : Auvergne, Cantal, Normandie, Jura, Vendée, Berry, Pyrénées, voire Suisse. Même si ses peintures étaient très populaires auprès des collectionneurs et des mécènes, les critiques refusèrent en 1936 d'accepter sa soumission au Salon . Son style fut méprisé par les critiques de l’époque. Ironiquement, son statut de paria du monde de l’art officiel a renforcé sa stature en dehors des cercles bourgeois. Théodore Rousseau était considéré comme « le plus grand peintre paysagiste d'Europe » et ses tableaux étaient achetés par de prestigieux collectionneurs.
Pendant 13 ans, Rousseau s'est exilé du Salon. Il s'installe dans un petit village à l'orée de la forêt de Fontainebleau, Barbizon, où il est entouré d'un groupe de peintres partageant les mêmes idées, comme Jean-François Millet, qui devient son ami le plus proche. C'est là qu'il a passé le reste de sa vie.
Groupe de Chênes, Apremont.
L'amour de Rousseau pour la nature a fait de lui l'un des tout premiers écologistes. Il est devenu le plus ardent défenseur de la vaste et ancienne forêt de Fontainebleau qui était exploitée. Dans plusieurs de ses tableaux, il dénonce ce qu'il appelle « le carnage », comme dans Le massacre des innocents . En faisant appel au gouvernement, Rousseau parvient, en 1861, à sauver une partie de la forêt et à la faire protéger.
Ses peintures trouvent un fort écho auprès des spectateurs d'aujourd'hui. Leur façon de représenter les arbres, de les rendre si majestueux et si impressionnants pourrait nous aider à reconsidérer notre lien avec la nature, nous rappelant que nous ne sommes pas au-dessus d'elle, mais en faisons partie. L'œuvre de Théodore Rousseau démontre également le rôle crucial joué par l'art dans l'éveil de la conscience écologique mondiale. C'était vraiment un pionnier.
Jean-Sébastien Stehli
Clairière dans la Haute Futaie, Forêt de Fontainebleau.
Théodore Rousseau, La Voix de la Forêt. Petit Palais. Jusqu'au 7 juillet 2024. petitpalais.paris.fr
Sortie de Forêt à Fontainebleau, soleil couchant.